A LA DECOUVERTE DU PAYS DES HOMMES INTEGRES
À l'aune des critères économiques de développement, ce pays d'Afrique de l'Ouest fait partie des plus pauvres de la planète. Il est riche toutefois d'une sagesse séculaire, toujours vivante, qu'il est prêt à partager avec l'ami de passage.

Ouagadougou, Manéga, Bobo-Dioulasso, Tiébélé, Ouahigouya: ces noms font peut-être rêver. Ils peuvent surtout paraître insolites dans un catalogue de propositions touristiques. Soutiennent-ils réellement la comparaison face à d'autres destinations plus classiques? Ou même aux circuits que se plaisent à dénicher les chercheurs d'aventures?
Le
Burkina Faso figure en effet en queue de peloton du développement économique. Plus qu'ailleurs encore, le tourisme y est donc indissociable d'une réelle éthique. La pauvreté n'est pas un spectacle. Elle n'est pas objet de curiosité. On ne peut toutefois l'ignorer ou feindre de ne pas y prêter attention. Elle n'en donne que plus de relief aux véritables richesses humaines et culturelles qui survivent aux aléas, ingratitudes et injustices du destin des peuples.
Premier impératif: revoir sa notion du temps. C'est là que commence le vrai dépaysement. Un voyage au Burkina-Faso implique le passage d'une frontière, de quelques postes de police ou de douane. Or, dans les formalités administratives comme dans la vie quotidienne des autochtones, il faut tenir compte d'un intermédiaire obligé, élément essentiel de la culture africaine: la palabre, que le Petit Robert définit péjorativement comme «une discussion interminable et oiseuse».
La découverte de l'Ouest africain met également en contact avec des réalités que l'on connaît déjà sommairement pour les avoir entraperçues dans un livre ou un documentaire, mais qui tout à coup prennent la densité d'une expérience directe: la brousse, la piste en latérite pouvant avoir raison d'un pneu de votre puissant 4 x 4, la savane aux paysages répétitifs mais jamais monotones, le respect des Anciens comme fondement de toute vie sociale, le profond enracinement des traditions et des rites coutumiers, l'omniprésence du sacré dans les lieux et les gestes de la vie quotidienne...
Cette Afrique-là a appris, en dépit d'une pauvreté tenace, à garder sa dignité. Et souvent son sourire. À l'hôte de passage, elle offre, aujourd'hui comme hier, ce qu'elle a de meilleur: sa spontanéité, son sens de l'hospitalité et du partage (même quand on dispose à peine du minimum vital) et cette étonnante, cette miraculeuse sagesse qui fait front à toutes les contraintes économiques.
Manéga
Mes premiers pas sur le sol africain sont guidés par un homme d'exception: Maître Titinga Frédéric Pacéré. Cet avocat burkinabé de renom international a, depuis une trentaine d'années, décidé de consacrer ses connaissances, ses compétences et la plupart de ses revenus «au développement socio-économique, à la lutte contre la misère et à la sauvegarde de la culture» dans son propre pays. À commencer par le village de ses origines: Manéga, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso.
Dans l'esprit de ses abondantes publications, Maître Pacéré a créé à Manéga un lieu qu'il faut bien, par commodité, appeler "musée". C'est en réalité un étonnant concentré de culture et de traditions africaines. En pleine brousse.
Accaparé par ses fonctions au barreau et ses nombreux déplacements à l'étranger, il est lui-même peu présent sur le site où il est admirablement secondé par son fils Franck. Et pourtant, il marque de son empreinte l'esprit du musée, faisant siens ces proverbes africains qui valent mieux qu'un long discours:
«Si la termitière vit,
qu'elle ajoute de la terre à la terre!»
«Faire parler la pierre, le silence et la mort.»
Le musée de bendrologie (de bendré, tambour) de Manéga est une oeuvre de mémoire et de fidélité, écrite avec la passion d'un homme viscéralement attaché à sa terre et à ses ancêtres, convaincu que «si la branche veut fleurir, elle ne doit pas oublier ses racines».
Huit pavillons, comportant une quarantaine de salles d'exposition, sont au menu de la visite. Ils donnent accès aux plus importantes composantes de la culture ouest-africaine: artisanat (bronze et bois), masques et fétiches sacrés, tambours des rites mystiques des Younyossé, pierres tombales et stèles funéraires, habitats traditionnels (peul, bobo, sénoufo, kasséna), rituel des funérailles.
Trois moments plus intenses marquent la visite.
La cérémonie d'accueil tout d'abord, au cours de laquelle l'hôte est invité à prendre la place d'honneur pour partager l'eau de la bienvenue, avant le spectacle que lui ont réservé les habitants du village. Premier contact avec la musique et les danses traditionnelles.
Premières émotions lorsque les enfants de la compagnie Le Bourgeon, animée par Théodore Lamoussa Kafando, déclament un poème de Maître Pacéré:
«Il est des enfants
Qui vivent sur la terre mais sans terre;
Exclus, ils suivent des chemins de fer.
Il est des enfants
Au regard interrogeant l'absence;
Ils ignorent la fête, le rythme, la danse.
Il est des enfants
Innocents aux abords des sentiers;
Ils n'ont même plus l'envie de mendier.
Il est des enfants
Qui ont perdu la force de pleurer;
Sans sommeil, ils apprennent à marcher.
Il est des enfants
Qui meurent dans la vie, nés dans la mort;
Ils ont soif de tout, même de la mort.»
Comment être surpris, au terme du spectacle, de se sentir l'estomac noué? Et même d'oublier d'applaudir tant cette réaction semble ridicule en pareille circonstance...
Deuxième temps fort: la visite du Pavillon de la Mort où l'on entre à reculons, déchaussé et en silence. D'autres circonstances identiques se présenteront au cours du voyage. Le caractère sacré de certains lieux se présente comme tel à notre désir de comprendre. C'est comme tel qu'il doit être respecté, sans faire l'objet d'une quelconque improvisation.
Finalement, le visiteur est invité à faire le tour de la Dalle sacrée du Quart-Monde, inaugurée le 12 février 1996 en écho, sur le continent africain, au message scellé dans la pierre du Parvis des Libertés et des Droits de l'Homme à Paris (Trocadéro):
«Là où les hommes sont condamnés à vivre dans la misère,
Les Droits de l'Homme sont violés.
S'unir pour les faire respecter est un devoir sacré.»
Le village de Manéga est ainsi devenu «la capitale africaine des pauvres, là où les exclus du continent retrouvent leur dignité et leur force, là où l'Afrique exprime sa conscience de la misère et sa détermination à son éradication».
C'est peu dire que le courant passait entre Maître Pacéré et le père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD-Quart-Monde. Ces deux apôtres de la liberté et de la dignité humaine se sont retrouvés dans les mêmes «luttes courageuses et lumineuses», au service des plus pauvres parmi les pauvres du continent africain, «terre baignée de peines et de larmes, mais aussi terre d'espérance».
